L’augmentation du loyer au-delà d’un indice indiqué dans le bail est autorisé pour certaines raisons dérogatoires. L’extension d’une terrasse est-elle l’une d’entre elles ?
La récente décision de la Cour de Cassation (arrêt rendu le 13 octobre 2021) concernant le déplafonnement d’un loyer va beaucoup intéresser les bailleurs qui détiennent des locaux commerciaux loués à des bars ou à des restaurants. C’est le site de Lexbase qui relate cette affaire.
À lire Impact de la suppression de la taxe d’habitation : vos économies entre 2018 et 2023
Le tribunal, puis la Cour d’Appel, donnent raison au locataire
Elle commence par l’acceptation par des bailleurs du renouvellement du bail commercial d’un restaurant-bar à compter du 1er novembre 2011. La condition, toutefois, est que le loyer soit déplafonné. Raison invoquée : les facteurs de commercialité ont changé, compte tenu du fait que la terrasse a été agrandie. Refus du locataire qui saisit la justice.
Celle-ci lui donne raison dans un 1er temps, et même dans un second temps, en Cour d’Appel (2019). Cette dernière juridiction invoque que « l’extension, au cours du bail expiré, de la terrasse de plein air devant l’établissement, installée sur le domaine public et exploitée en vertu d’une autorisation administrative, ne peut être retenue comme une modification des caractéristiques des locaux loués, dès lors qu’elle ne fait pas partie de ceux-ci. » Le déplafonnement du loyer est donc refusé.
La Cour de Cassation, elle, donne raison au bailleur
Saisie par le bailleur, la Cour de Cassation revient sur cette décision. Certes, elle confirme que la Cour d’Appel a eu raison de dire que l’extension ne peut être retenue comme une modification des caractéristiques des locaux loués, dès lors qu’elle ne fait pas partie de ceux-ci. Mais cela ne signifie pas, pour autant, que le loyer ne peut pas être déplafonné.
En effet, elle rappelle que la valeur locative est aussi « déterminée en fonction des facteurs locaux de commercialité dont l’évolution notable au cours du bail expiré permet, si elle a une incidence favorable sur l’activité exercée dans les locaux loués, d’écarter la règle du plafonnement du loyer du bail renouvelé et de le fixer selon la valeur locative actualisée. »
À lire Les clés pour devenir rentier grâce à l’immobilier
Or, dans cette affaire, pour rejeter la demande des bailleurs, l’arrêt d’appel a retenu que les bailleurs avaient seulement invoqué le critère de « modification des caractéristiques du local loué » pour faire aboutir leur demande liée au refus du déplafonnement du précédent tribunal.
Pour la Cour de Cassation, la Cour d’Appel est en tort car elle n’a pas donné de base légale à sa décision. En effet, en rendant sa décision, elle n’a pas cherché à savoir si l’extension de la terrasse sur le domaine public, autorisée par la municipalité, modifiait les facteurs locaux de commercialité. Or, si elle l’avait fait, elle aurait constaté que l’exploitation d’une terrasse agrandie contribue au développement de l’activité commerciale, constituant, par là-même, un motif de déplafonnement.
Une décision intéressante post Covid…
Bien que cette affaire soit antérieure à la crise sanitaire, la solution adoptée par les juges est source d’enseignements pour les bailleurs de locaux à usage de brasserie/restaurant ou de café, lorsqu’une terrasse extérieure a été installée ou agrandie, lors de la reprise d’activité après les confinements.
Gérald Berrebi, avocat au Barreau de Paris (Cabinet Berrebi Avocats) et spécialiste du droit des baux commerciaux fait plusieurs remarques à ce propos dans un article du Journal de l’Agence , en indiquant, entre autres, que la décision de la Cour de Cassation de considérer qu’une extension de terrasse peut constituer une modification des facteurs locaux de commercialité et donc, par là-même, un motif de déplafonnement, pourrait modifier la donne lors des prochains renouvellements de baux.
Pour lui, certains bailleurs n’hésiteront pas à se lancer dans la bataille du déplafonnement des loyers. « D’autres seront plus nuancés, indique-t-il, quant au risque réellement encouru par le preneur : une analyse plus fine de la situation doit, en effet, conduire à s’interroger sur le caractère notable d’une telle modification des facteurs locaux de commercialité, a fortiori compte tenu du contexte très particulier lié à la crise sanitaire. Ce bémol de taille n’empêchera probablement pas certains bailleurs hardis d’agir, lesquels n’auront peut-être pas tort si lesdites installations ou extensions persistaient après la fin de la crise sanitaire… »
Les facteurs de commercialité en pleine évolution
En tout état de cause, les facteurs de commercialité jouant sur les loyers des baux commerciaux sont en pleine évolution, depuis quelques années. La crise sanitaire a accéléré les changements de fonctionnement des commerces et les habitudes des consommateurs. L’importance grandissante du multicanal modifie les besoins en m² commerciaux, indiquent les professionnels du secteur. Pour certains d’entre eux, la surface des points de vente va se réduire avec les livraisons par Internet permettant de réduire le stock : on vient voir le produit en magasin, puis on se le fait livrer (le stock pouvant être conservé ailleurs, dans des entrepôts logistiques). Si le chiffre d’affaires (devenu central dans la valorisation des biens) généré par le magasin – égal à 90 % aujourd’hui – descend à 70 % à moyen terme (30 % relevant d’Internet), les courbes de prix des loyers et des murs devraient baisser.